Il était une fois un cirque.
Dans ce cirque comme dans tous les cirques, il y avait un clown blanc, et avec le clown blanc, venait l'Auguste... L'Auguste toujours en train d'embêter le clown, de lui faire des blagues... de le titiller... de tomber, déclencher des catastrophes... et l'hilarité des spectateurs ravis.
Tous les spectateurs? Non.
Sur un banc au premier rang, une jeune fille ne riait pas. Elle était tellement émerveillée par la beauté du spectacle, qu'elle en restait subjuguée, et en oubliait de rire.
L'Auguste était tout perturbé. Comment ? Comment une si jolie jeune fille pouvait-elle ainsi rester insensible à ses pitreries. Il se mit en devoir de la dérider. Il enchaîna tous ses meilleurs tours, mais peine perdue : elle ne riait toujours pas.
Son visage n'exprimait rien, mais son coeur bouillonnait de joie. Elle était fascinée par le nez rouge de l'Auguste, son aisance, sa grâce toute maladroite, son grand pantalon de toutes les couleurs de ses pièces, ses grandes bretelles aux boutons dépareillés, ses chaussures immenses... quant à son rire tonitruant ! Elle aurait passé des heures à l'écouter. C'était magique !
L'Auguste, quant à lui, habitué à essuyer les moqueries, n'imaginait même pas pouvoir faire pareil effet à une si jolie jeune fille. Il n'entendait que l'horrible silence, l'absence de rire... mais comment faire pour la faire rire ? Quel était donc le secret fou-rire de ce joli coeur silencieux ? Comment ranimer ses zigomatiques ?
C'est alors qu'il eut une idée. Une grande idée. Une idée fabuleuse. Une idée merveilleuse. Une idée grandiose.
Et il fila dans les coulisses pour se préparer.
Venait le tour de la funambule. Elle s'avança doucement et se mit à avancer sur son fil, depuis le sol, lentement, glissant sur le cable... Elle arriva ainsi tout en haut, à presque pouvoir toucher la toile du châpiteau.
Elle pris position sur la petite plateforme, à l'entrée du fil.
Roulement de tambour, le balancier à la main, elle esquissa un premier par de danse avant se s'engager sur le cable...
L'Auguste la pris de vitesse. Il déboula chevauchant son monocycle à l'autre bout du fil. Il jonglait en même temps avec des massues tout en sirotant un verre de lait à la fraise. C'était renversant ! Et c'est très exactement ce qu'il fit. Il n'y avait pas pensé. On ne peut pas penser à tout. Il savait jongler sur un monocycle. Il savait avancer sur un fil avec un monocycle. Il avait oublié qu'il ne savait pas faire les trois choses à la fois. On n'improvise pas un grand numéro. Il fit le saut de l'ange. Un bataillon suivi. Même les mouches avaient arrêté de voler. Tout le monde était pétrifié d'horreur.
C'est alors qu'éclata le rire de la jeune fille, terrifiant, déchirant. Son coeur n'avait pas résisté. Ce rire en était les éclats. Elle s'effondra subitement.
Oh la bien triste histoire d'une jeune fille qui ne savait pas rire, et d'un Auguste qui ne savait pas qu'on pouvait l'aimer autrement qu'en se moquant de lui...
© Adler Caroline, Paris, février 2012